Deux enjeux primordiaux – et intimement liés – alimentent aujourd’hui les préoccupations de la majorité des pays industrialisés : la souveraineté alimentaire et la transition écologique.
La souveraineté alimentaire implique l’indépendance d’un point de vue alimentaire et il faut donc être capable de produire la majorité de ce que nous mangeons.
Concernant la transition écologique qui englobe un champ d’action très large, l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 représente l’objectif principal en Europe et en France.
Sachant qu’en 2022, en France, la répartition par secteur des émissions des gaz à effet de serre (GES) est la suivante : 32% pour les transports, 19% pour l’agriculture/sylviculture, 18% pour l’industrie manufacturière et construction (dont l’industrie agroalimentaire), 16% pour l’usage des bâtiments, 11% pour l’industrie de l’énergie et 4% pour traitements centralisés des déchets.
Comment cet objectif de neutralité carbone impacte-t-il les entreprises de l’agroalimentaire, qui doivent dans le même temps répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire ?
Un point sur la réglementation en vigueur sur la décarbonation de l’industrie agroalimentaire
Zoom sur la réglementation européenne
Au niveau européen, le Green Deal (Pacte Vert) a été adopté en 2019. L’objectif principal du Green Deal est que l’Europe atteigne la neutralité carbone en 2050. Cela signifie que l’ensemble de nos émissions de gaz à effet de serre doit être capté par des puits de carbone (c’est-à-dire par les sols, forêts et océans). Un objectif intermédiaire fixé via la loi européenne sur le climat a pour objectif de réduire en Europe d’au moins 55% les émissions des gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le Pacte Vert concerne l’ensemble des domaines.
Dans le secteur de l’agroalimentaire, cela se traduit notamment par la mise en place de la stratégie « Farm to Fork » (de la fourche à l’assiette). Stratégie lancée en 2020, elle vise à « assurer une alimentation suffisante et abordable, tout en contribuant à l’objectif de neutralité climatique de l’UE à l’horizon 2050, et assurer un revenu équitable et un soutien résolu aux producteurs primaires ».
Cette stratégie a plusieurs objectifs, certains avec des conséquences pour le secteur agricole et d’autres qui impacteront directement l’industrie agroalimentaire, comme par exemple :
- La promotion d’une consommation alimentaire plus durable et des régimes alimentaires sains
- La réduction des pertes et du gaspillage alimentaires
- Le combat contre la fraude alimentaire dans la chaîne d’approvisionnement
Les impacts dans l’industrie pourraient donc être les suivants :
- Des investissements dans l’innovation pour réduire l’empreinte carbone des systèmes de production et ainsi promouvoir une consommation alimentaire plus durable. Quant aux choix de matières premières de qualité, ils contribueront à des régimes plus sains. Nous savons que de par sa nature, le secteur de l‘agroalimentaire a toujours été innovant. Il s’agit maintenant de donner une nouvelle impulsion en développant des approches durables pour un meilleur équilibre entre les sciences de la vie et les technologies.
- Des actions d’amélioration peuvent être mises en place pour réduire les déchets alimentaires sur l’ensemble des processus de fabrication et de la supply chain, mais également pour les valoriser (exemple la coque des graines qui servent comme combustibles dans l’usine).
- La mise en place d’indicateurs et d’outils de traçabilité des produits alimentaires, de la matière première au consommateur en passant par la production permettront quant à eux de suivre les produits pour ainsi éviter la fraude dans la chaîne d’alimentaire.
De son côté, l’ETS (Emission Trading Scheme) de l’UE (Echange de quotas d’émission de l’Union Européenne), plus connu sous le nom « du principe du pollueur payeur », a pris vie en 2005. Ce système oblige plus de 10 000 centrales électriques et industries à disposer d’un permis pour chaque tonne de CO2 émise. Soit les entreprises polluent moins soit elles payent. Certaines industries de l’agroalimentaire peuvent donc être concernées, par exemple : les raffineries de sucre, la production de bière et de malt ou encore l’industrie laitière. Ces exemples d’industrie agroalimentaire utilisent des procédés industriels très gourmands en carbone (procédés de combustion et/ou de séchage).
Zoom sur la réglementation en France
En France, deux principales lois visent à réduire l’empreinte carbone.
La Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015, se traduit par la mise en place d’une feuille de route : la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) qui a pour principal objectif de réduire les GES sur du moyen terme. Pour compléter cette première loi, la loi Energie Climat est adoptée en 2019. Ce texte inscrit comme objectif la neutralité carbone en 2050 en fixant des objectifs qui auront des impacts sur plusieurs secteurs dont le secteur de l’agroalimentaire.
La Loi « Climat et résilience » a prévu quant à elle une expérimentation de l’affichage environnemental sur plusieurs secteurs dont celui de l’industrie agroalimentaire. L’affichage environnemental doit informer sur plusieurs aspects dont celui des émissions des gaz à effet de serre. Ce scoring environnemental n’a pas encore été généralisé suite à son expérimentation.
En résumé, ces cadres législatifs européen et français définissent des objectifs clairs et quantifiables. Mais concrètement, il est parfois difficile de se rendre compte de ce que cela impose aux industries de l’agroalimentaire :
Que doivent-elles faire pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Quels sont les moyens et incitations à leur disposition pour entreprendre des actions concrètes ? Quelles sont les pénalités si les entreprises ne se dirigent pas vers la neutralité carbone ?
Eléments de réponse avec notre client SAIPOL, qui nous apporte un éclairage sur les stratégies et plans d’action mis en place pour se diriger vers cette neutralité carbone.
Saipol : un exemple d’entreprise engagée vers la décarbonation
Chez SAIPOL, filiale du groupe AVRIL et client Advents, Isabelle WEBER, Directrice des Affaires réglementaires et RSE nous a présenté les projets mis en œuvre pour décarboner leur activité.
Pour rappel, SAIPOL, créée en 1983, achète et transforme des graines de colza et de tournesol pour les transformer en protéine animale (représentant plus de 50% de la graine ), et en huile. Cette huile sert le marché de l’alimentation mais permet également de produite des biocarburants renouvelables. Un point important est à mettre en évidence : créé à l’initiative des agriculteurs en 1983, le groupe Avril réinvestit l’ensemble de ses bénéfices au service de la filière agricole des oléo-protéagineux. Cela favorise un environnement propice à la mise en œuvre de projets sur du long terme bénéfiques à l’environnement tout en ayant un impact positif sur leur outil de travail. SAIPOL est également certifié SBTi (initiative Science Based Targets). Ainsi, leurs projets de décarbonation s’intègrent dans les 3 « scopes » déterminés par l’ADEME (Agence de la transition écologique).
Actions relatives au scope 1 & 2
Le scope 1 correspond aux émissions de GES directement émises par les activités de l’entreprise. Il s’agit par exemple des émissions directes de gaz à effet de serre issues de combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon…). Le scope 2 couvre lui les émissions de GES indirectes associées à la consommation d’énergie, qui surviennent en dehors des installations de l’entreprise. Il englobe les émissions indirectes résultant de la production d’énergie achetée et consommée par l’organisation (électricité et réseaux de chaleur / froid).
Isabelle WEBER nous fait part des actions mises en place pour réduire les émissions des scopes 1&2 : “Pour triturer la graine, les usines de SAIPOL ont besoin de beaucoup de chaleur. Des investissements importants ont été réalisés par Saipol depuis 2010 afin de remplacer les chaudières à gaz par des chaudières biomasse utilisant un combustible renouvelable, notamment les coques de tournesol qui est un très bon combustible et qui permet de valoriser des déchets issus du processus de fabrication. Ces chaudières émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre que les chaudières classiques. Quatre des cinq usines de Saipol fonctionnent grâce à la biomasse énergétique. Un investissement, soutenu par France Relance, dotera la dernière usine d’une chaudière biomasse dès 2026.”
Par ailleurs, un autre projet important consiste à remplacer, là où cela est possible, les énergies fossiles existantes par de l’électricité.
Actions relatives au scope 3
Le scope 3 inclut lui les émissions de GES indirectes souvent issus des activités en amont et en aval.
SAIPOL s’engage depuis 2018 dans la promotion, auprès des agriculteurs, de pratiques moins émettrices de gaz à effet de serre dont voici quelques exemples :
- En réduisant au maximum le labour
- En mettant des intercultures (fixatrice d’azote) pour ainsi ne pas laisser le sol nu
- En apportant de la matière organique (exemple : lisier, fumier) permettant de limiter les apports d’engrais chimiques
Isabelle précise : “SAIPOL a été le premier industriel à valoriser jusqu’aux agriculteurs les pratiques agricoles de l’agriculture régénératrice qui favorisent le carbone dans les sols. Ainsi quand SAIPOL achète des graines, elle rémunère ces bonnes pratiques avec un bonus. SAIPOL met à disposition des agriculteurs et des coopératives un outil (OLEOZE) qui permet de renseigner l’ensemble de ces pratiques et de les valoriser au moment où l’agriculteur ou la coopérative les vend.”
Du côté transport, des projets d’optimisation des tournées des camions poursuivent leur développement. En parallèle, pour limiter les distances, SAIPOL priorise l’achat de graines locales et françaises. D’autres initiatives sont à l’étude pour mettre en œuvre des transports moins émetteur de CO2.
En résumé, beaucoup de projets concrets pour répondre aux enjeux de chaque scope. Isabelle WEBER conclut notre entretien : “Les exemples cités ne sont que les actions les plus importantes entreprises ces dernières années et il existe chez SAIPOL un grand nombre d’initiatives engagées dans la voie de la décarbonation. Nous comptons bien poursuivre nos efforts, d’autant plus avec la mise en place du CSRD en 2026 qui devrait démocratiser encore plus les démarches responsables et permettre de mieux répondre aux attentes des consommateurs/clients finaux sur ces enjeux.”
Pour découvrir tous les projets de Saipol 👉 www.saipol.com et plus largement du groupe Avril 👉 Rapport annuel intégré 2023 – Avril
Ce qu’il faut retenir
Des avancées réglementaires mais un cadre qui manque de concret
Malgré plusieurs réglementations mises en œuvre avec des objectifs clairs, les entreprises du secteur agroalimentaire manquent parfois de recommandations précises et concrètes. Côté contraintes, il n’existe aujourd’hui aucune pénalité pour les entreprises ne créant pas de plan d’action pour réduire leurs GES.
Heureusement, le retour d’expérience que nous vous partageons rassure sur le fait que des acteurs de l’industrie définissent des stratégies et mettent en place des plans d’actions pour assurer leur transition écologique. Une bonne nouvelle puisqu’il s’agit de créer une valeur durable pour la filière et ces parties prenantes, et également d’engager les mutations nécessaires plus par le développement que la disruption.
L’exemple de SAIPOL met aussi en avant l’importance de travailler une vision globale. En effet, réduire son empreinte carbone est crucial mais ne suffit pas. Il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’autres domaines liés à l’environnement. Il est donc important de lancer des analyses de consommation d’énergie de façon globale et non pas uniquement sur la consommation de carbone, démarche que nous réalisons d’ailleurs avec notre partenaire Dametis.
L’aspect global de la démarche se joue également en amont de la chaine dans le cas du secteur de l’agroalimentaire. En effet, pas d’agroalimentaire sans agriculture et, comme évoqué en introduction, le secteur de l’agriculture/sylviculture représente 19% des émissions de GES. Les deux secteurs doivent donc avancer main dans la main pour contribuer conjointement à la baisse des GES.
En ce sens, et malgré ses imperfections pour les raisons évoquées, il faut se féliciter de la première étape franchie par la mise en place du cadre réglementaire et des grands objectifs qu’il fixe.
La CSRD pour aider les entreprises à normaliser leur démarche
La seconde étape que représente la mise en place du CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est une très bonne chose pour encourager davantage le développement durable dans les entreprises. En fixant aux grandes entreprises et aux PME cotées en bourses de nouvelles normes obligations de reporting extra financier, la directive devrait accélérer la transition écologique en apportant un cadre plus concret.
Les entreprises pourront ainsi plus facilement identifier les domaines où des améliorations, et définir plus globalement des stratégies et des plans d’action pour y répondre.